J’ai une théorie... (qui n’engage que moi, évidemment 😏)
J’ai une théorie. Une théorie un peu foireuse, un peu nostalgique, mais qui tient debout si on la regarde de biais : ce qui a tué l’Amiga, ce n’est ni Commodore, ni la crise, ni même Bill Gates.
Non, les vrais meurtriers sont trois jeux mythiques : Wolfenstein 3D sur PC, Street Fighter II sur Super Nintendo puis Doom sur PC.
Ces trois titres ont, chacun à leur manière, redéfini ce que signifiait « jouer » au début des années 90 — et ont relégué notre cher Amiga au musée des belles machines trop en avance.
L’Amiga : le micro-ordinateur des dieux du pixel

À la fin des années 80, l’Amiga, c’était l’arme fatale du joueur éclairé.
Un son stéréo bluffant, des graphismes somptueux, et un écosystème bouillonnant de créativité.
Entre Shadow of the Beast, Turrican II et Another World, on avait l’impression d’avoir une borne d’arcade à la maison — mais en plus stylée, avec des disquettes à étiquettes manuscrites.
Mais pendant que les fans d’Amiga peaufinaient des intros de démos et tripotaient ProTracker, le monde du jeu vidéo s’apprêtait à vivre un tournant tectonique. Et l’Amiga, lui, n’avait pas vu venir la secousse.
1992 : Wolfenstein 3D, le coup de feu du PC

Sorti en mai 1992 sur PC, Wolfenstein 3D signé id Software a littéralement changé la donne.
Des couloirs en pseudo-3D, des ennemis pixelisés à abattre, une vue subjective jamais vue auparavant : le First Person Shooter venait de naître.
Le PC, jusque-là cantonné à des jeux de gestion et des simulateurs poussiéreux, devenait soudainement la machine de l’action.
Sur Amiga, quelques courageux ont tenté d’imiter le phénomène : Gloom, Fears, Behind the Iron Gate... Mais entre les temps de chargement interminables et les animations à 10 images/seconde, ces clones arrivaient trop tard et trop lentement.
Pendant que le PC s’arrachait les cartes VGA et les processeurs 486, l’Amiga restait bloqué dans la 2D, les doigts dans la disquette.
1992 toujours, Street Fighter II : le coup de grâce venu du Japon

Et puis, il y a eu le second coup de poing, celui que personne n’a vu venir : Street Fighter II.
Sorti sur Super Nintendo en 1992 (le 10 juin au Japon, le 15 juillet aux États-Unis, et le 17 décembre en Europe), le jeu de Capcom a tout explosé sur son passage.
Ce n’était pas juste un jeu de baston, c’était un phénomène culturel.
Ryu, Ken, Chun-Li, Blanka… des personnages emblématiques, des musiques gravées dans nos cerveaux, et surtout, une fluidité de gameplay inédite.

Chaque coup spécial sortait avec précision, chaque combat avait du rythme.
Et là, un détail a fait toute la différence : la manette de la Super Nintendo.
Avec ses six boutons, elle permettait d’enchaîner les coups et les combos naturellement.
Sur Amiga, en revanche, la pauvre manette à un seul bouton (deux quand on avait de la chance) obligeait les joueurs à faire des contorsions digitales absurdes pour sortir un simple Hadoken.
Autant dire que le combat était perdu d’avance — littéralement.
L’adaptation de Street Fighter II sur Amiga, sortie la même année, tenait davantage du miracle technique que du plaisir de jeu : sprites rabougris, lenteur chronique, et surtout, un gameplay approximatif.
Les clones comme Body Blows ou Shadow Fighter tentaient de sauver l’honneur, mais malgré leur charme, aucun ne pouvait rivaliser avec la puissance fluide et colorée de la version SNES.
Finish him, 1993 : Doom — la balle dans la disquette
Et puis, en décembre 1993, id Software revient avec Doom. Ce n’est plus une révolution, c’est une apocalypse. La 3D devient plus fluide, plus sanglante, plus immersive. Les couloirs s’illuminent, les monstres hurlent, et les PC se transforment en portails vers l’enfer.

Face à ça, l’Amiga ne pouvait rien.
Certes, quelques fans héroïques ont tenté des portages plus tard (Doom Attack, ADoom…), mais il fallait des configurations exotiques et une dose de patience divine.
Pendant que les joueurs PC échangeaient des niveaux et découvraient le multijoueur en LAN (ou par modem pour les plus aisés), les Amigaïstes, eux, contemplaient la fin d’une ère — avec mélancolie, et un bruit de lecteur de disquette en fond.
Même l’Amiga 1200 (octobre 1992) et l'Amiga CD32 (septembre 1993), pourtant pleins de promesses, sont arrivés trop tard pour remonter sur le ring.
Le triple combo fatal
En deux ans à peine, entre 1992 et 1993, l’Amiga est passé du statut de machine de rêve à celui de relique de collectionneur. Ni Commodore, ni les fans les plus fidèles n’ont pu empêcher le destin.
Les consoles gagnaient en accessibilité, le PC en puissance, et l’Amiga... en nostalgie.
Game Over, mais quelle partie !
Alors oui, on peut dire que Wolfenstein 3D et Street Fighter II ont tué l’Amiga et que Doom a enterré ses restes.
Mais ils l’ont fait avec panache, à la loyale, manette (et souris) en main.
L’Amiga a ouvert la voie, inspiré des générations de créateurs, et laissé une empreinte indélébile dans la culture du jeu vidéo.
Et si, au fond, sa plus belle victoire n’était pas d’avoir survécu dans nos cœurs ?
Parce qu’entre nous, quand on relance un Turrican II ou un Lotus Turbo Challenge, et qu’on entend ce son si particulier de lecteur de disquette... on se dit que l’Amiga n’est jamais vraiment mort.
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