La fragilité des supports physiques : un patrimoine vidéoludique en péril

La fragilité des supports physiques : un patrimoine vidéoludique en péril
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Des supports pensés pour le court terme

Lorsque les consoles des années 70, 80 et 90 sont arrivées sur le marché, personne n’imaginait que l’on jouerait encore à ces jeux quarante ans plus tard. Les cartouches NES, Mega Drive ou Game Boy étaient pensées comme des produits de consommation immédiate, pas comme des objets à conserver éternellement. De même, les CD-ROM de la PlayStation ou de la Saturn ont été conçus avec une durée de vie limitée — parfois à peine quelques décennies avant dégradation.

Les cartouches : robustes mais pas éternelles

On pense souvent que les cartouches sont « increvables », mais c’est une idée reçue. Les circuits imprimés à l’intérieur sont sensibles :

  • Condensateurs et piles de sauvegarde finissent par fuir ou s’épuiser, entraînant la perte des sauvegardes.

    • Solution : recappage (remplacement de condensateurs électrolytiques vieillissants) sur certaines cartouches contenant des circuits additionnels (SuperFX, SVP).
    • SRAM + pile (souvent CR2032) : utilisée pour les sauvegardes (Pokémon, Zelda). Les piles lithium s’épuisent en moyenne au bout de 10 à 20 ans
      • Solution : remplacement nécessaire.
  • Oxydation des connecteurs : l’humidité, la poussière ou un simple stockage inadéquat peuvent rendre une cartouche inutilisable.

    • Solution : nettoyage au fiberglass pen ou à l’isopropanol >90%, suivi éventuellement d’un vernis de protection.
  • Épuisement des composants électroniques : certains chips mémoires ne conservent pas indéfiniment les données.

    • EEPROM / EPROM : certaines cartouches (NES, SNES, Megadrive) stockent le code sur des puces dont la rétention des données varie entre 20 et 40 ans. La décharge naturelle des cellules peut corrompre les données.

Les CD et DVD : le syndrome du “disc rot”

Avec l’arrivée de la PlayStation et de la Dreamcast, les jeux ont migré vers le support optique. Mais ces disques, souvent gravés plutôt que pressés industriellement dans certains cas, sont particulièrement vulnérables :

  • Disc rot (littéralement pourrissement de disque) : la couche réfléchissante se dégrade, laissant apparaître des taches marron ou translucides.

    • Symptômes : erreurs de lecture, plantages, voire impossibilité totale de lancer le jeu.
    • Pas de solution miracle : une fois le disc rot installé, le disque est irrécupérable.
  • Rayures : un simple choc ou frottement peut rendre un jeu illisible.

    • Solution : resurfaçage contrôlé avec ponceuse de disque. Certains magasins spécialisés proposent ce service (EasyCash, Cash Converters, etc.).
    • Mais si la rayure est trop profonde et touche la couche de données, le disque est irrécupérable.
  • Colles et matériaux instables : selon la qualité de fabrication, certains disques vieillissent bien, d’autres deviennent illisibles en quelques années.

Préservation

  • Extraction avec Redump (dump vérifié et hash MD5/SHA1).

  • Stockage dans des boîtiers à faible acidité, verticalement, à température constante (18–22°C, 40–50% d’humidité relative).

Bandes magnétiques et disquettes : une obsolescence rapide

Sur micro-ordinateurs (Amiga, Atari ST, MSX…), les jeux étaient souvent distribués sur disquettes. Or celles-ci sont encore plus fragiles :

  • Magnétisme instable : la bande magnétique perd peu à peu ses données.

  • Moisissures et chaleur : elles accélèrent l’effacement.

  • Lecteurs en voie de disparition : même si les disquettes survivent, trouver du matériel pour les lire devient un défi.

Comment préserver ce patrimoine ?

La préservation passe par une combinaison de bonnes pratiques :

  1. Stockage adéquat : à l’abri de la lumière, de l’humidité et des variations de température.

  2. Duplication numérique : dumps de ROMs, rips de disques, archivage dans des formats ouverts.

  3. Maintenance active : remplacer les piles de sauvegarde, nettoyer les connecteurs, restaurer le matériel.

  4. Contribution communautaire : musées, associations et passionnés travaillent à documenter et numériser le plus possible.

Les supports physiques de nos jeux rétro sont de véritables bombes à retardement. Leur fragilité n’est pas une fatalité, mais elle oblige la communauté des retrogamers et des archivistes à agir vite. Préserver les jeux, ce n’est pas seulement conserver des données, c’est protéger un pan entier de notre culture numérique.

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